Chapitres
"La langue latine, port d’ancrage pour la catholicité, était aussi un rempart contre les hérétiques. Ainsi les mutations dans le langage n’étaient pas seulement des glissements inconscients, de grandes secousses sismiques, mais aussi le résultat de décisions conscientes et lucides."
Cet extrait de l'article Du langage et du symbole d'Alexis Philonenko, publié en 2007 dans la Revue de Métaphysique et de morale, donne une première vision - ne serait-ce qu'un petit faisceau lumineux - pour expliquer comment la langue latine, au même titre que d'autres langues anciennes, a-t-elle glissé vers une mort lente au fil des siècles.
En science politique, on retient souvent le langage comme marqueur culturel d'identité et comme ciment d'une nation : c'est à ce titre que le français, par exemple, est le langage de la nation française.
Parler la même langue - une langue vernaculaire - est un déterminant de l'intégration sociale au sein d'une communauté, et représente l'un des piliers constitutifs d'une culture commune.
A l'époque de la Rome antique puis sous l'Empire Romain (du 8ème siècle avant J-C au 5ème siècle de notre ère), parler latin était obligatoire pour communiquer et échanger dans tous les territoires passés sous domination romaine.
Toutefois, alors qu'il était usité dans tout le bassin méditerranéen pendant plus de mille ans - de l'Antiquité romaine au Moyen-Âge -, le latin fut peu à peu remplacé dans chaque pays par un dialecte, dont chacun forme aujourd'hui l'ensemble des langues vivantes indo-européennes : anglais, espagnol, italien, français, roumain.
Désormais, nul ne peut déchiffrer un texte latin et comprendre le vocabulaire latin sans passer par un processus d'apprentissage du latin.
Face à cela, plusieurs questions se posent :
- Pourquoi la langue latine est-elle considérée comme une langue morte ?
- N'y a-t-il vraiment plus personne qui soit capable de parler latin ?
- Pourquoi existe-t-il encore une option latin dans l'enseignement des langues européennes au college latin, et pourquoi recense-t-on encore de nombreux latinistes capables de comprendre les textes littéraires des grands auteurs romains - de Cicéron à Ovide en passant par Sénèque -, si le latin, dépourvu de locuteurs, est un langage mort ?
Superprof s'intéresse dans cet article aux causes qui ont fait tomber le latin en désuétude.
Comment définir une langue morte ?
En linguistique, une langue est considérée comme morte ou éteinte dès lors qu'il n'existe plus de locuteurs l'employant comme médium de communication dans leur vie courante.
Ainsi une langue serait-elle morte lorsque son dernier locuteur s'éteindrait.

Qui en effet, au 21ème siècle, possède le latin comme langue maternelle ? La réponse est facile : absolument personne.
Le statut de langue morte comporte différents degrés, et les différends vont bon train dans les débats de linguistes. L'unanimité n'est en effet pas au rendez-vous parmi les spécialistes quant au statut de la langue latine.
Explication :
Est donc réputée "morte" toute langue qui ne se parle plus, qui n'a plus aucun usager dans le monde.
C'est le cas de l'égyptien ancien, du phénicien - la première langue sémitique, qui a donné naissance à l'arabe -, de l'akkadien, des langues celtiques continentales, entre autres nombreuses langues anciennes.
Pourtant, certains chercheurs - linguiste, archéologue, historien - peuvent parler couramment cet idiome. Ils apportent donc une nuance à ce statut car il existe une véritable philologie de la langue latine et du grec ancien.
D'une part, des cours latin existent encore au collège et au lycée. Connaître les mots latins et la grammaire latine peut être un pré-requis ou un atout pour certaines formations universitaires (lettres classiques, lettres modernes, médecine, chimie, botanique, etc.).
D'autre part, le latin aurait survécu selon certains - comme Jean-Christophe Saladin, linguiste et directeur de la collection "Le miroir des humanistes" aux éditions Belles Lettres -, car il a servi de support grammatical à plusieurs langues filles : les langues romanes.
Ainsi, le français, l'espagnol, l'italien, le portugais, le roumain - et dans une moindre mesure l'anglais - sont des langues d'origine latine parlées par 2 à 2,5 milliards de personnes sur Terre aujourd'hui.
De surcroît, le latin est resté la langue officielle liturgique de l'Église catholique romaine - de nos jours, le Vatican a d'ailleurs le latin pour langue officielle.
Dans cette acception, l'on ne veut véritablement pas considérer que le latin est une langue morte et disparue, mais plutôt un langage oublié.
D'ailleurs, n'écrit-on pas les siècles, les noms des rois et des Papes en chiffres romains, et donc en latin (XXème et XXIème siècle, Jean-Paul II, Benoît XVI, Louis XIV, Louis XVI, Charles X, Napoléon III, la Vème République, etc.) ?
Le déclin de la langue latine en plusieurs étapes
La langue latine émergea en Italie centrale, dans la région du Latium (celle de Rome), et fut probablement influencée par les Étrusques.

Au 6ème siècle avant J-C, le latin était déjà utilisé, et connut plusieurs évolutions au fil des siècles avant de devenir la langue officielle de la civilisation romaine.
Cette première forme de latin, dite latin archaïque, muta en latin classique vers le 3ème siècle avant notre ère, ce qui correspond à l'expansion territoriale de la Rome antique.
Le latin résista à la chute de l'Empire Romain d'Occident (476 ap. J-C) car c'était une langue de communication, langage savant, liturgique, des sciences et des arts, qui imprégna durablement l'Histoire de la littérature jusqu'à la Renaissance aux 16ème et 17ème siècle.
Cependant, l'Empire Romain d'Orient passant sous influence culturelle grecque (et orthodoxe) jusqu'à sa chute en 1453 et la conquête de l'Empire Ottoman, et face à l'unification lente et progressive des langues romanes, le latin disparaît peu à peu des langues maternelles ou des langues officielles.
Les historiens retiennent trois étapes dans le glissement du latin vers sa mort lente :
- La langue cesse d'être vernaculaire : moment où le latin - latin vulgaire ou classique - n'a plus été parlé dans la vie quotidienne. Historiquement, cela correspondrait à la période entre le 7ème siècle et le 10ème siècle : l'Empire Romain étant déchu, d'autres influences incitent la formation lente d'autres dialectes, et les langues romanes supplantèrent le latin,
- Le latin cesse d'être une langue vivante : au 16ème siècle, la Renaissance valorise les humanités, les arts, la rationalité, l'individualisme et la logique, mais le latin cesse d'être une langue vivante car plus personne n'utilisa plus le latin dans aucune activité,
- Le latin cesse d'être compris par tous : s'en suivit le moment où le latin cessa d'être opératoire, en tant qu'identité culturelle et comme langue de référence.
Comment prendre des cours de latin débutant ?
Les causes de l'abandon du latin
La principale raison qui fait que le latin est une langue morte est historique.

Pendant l'époque romaine, apprendre le latin - lingua latina - était un moyen d'échanger et aussi de réussir à se faire une place dans les territoires passés sous la domination de l'Empire Romain.
"Les apprenants du latin étaient en contact avec les locuteurs natifs de cette langue : des anciens légionnaires installés dans les provinces, des fonctionnaires de Rome ou des marchands romains qui circulaient dans l’Empire." (U. Reutner, Du latin aux langues romanes.)
Une stratégie d'assimilation forcée s'opère alors pour tous les peuples conquis.
Diffuser le latin était aussi pour le pouvoir romain un outil de résistance face à l'influence des Gaulois et des langues germaniques du nord.
Rome étant à l'époque le système politique le plus puissant, celui aux ramifications les plus vastes, le latin faisait figure de langue universelle dans le monde occidental, quand toute autre langue et culture était considérée comme l'apanage des peuples Barbares.
Mais au Moyen-Âge, les royaumes et les provinces n'avaient plus besoin d'un langage uniforme tel que le latin : celui-ci se cantonna petit à petit à l'Église catholique, parlé dans le milieu ecclésiastique uniquement.
Autre explication : les évolutions culturelles des sociétés occidentales.
Du fait de l'autonomisation de chaque dialecte en tant que langue commune, le latin s'est effacé progressivement et a donné naissance aux langues romanes que l'on connait aujourd'hui :
- Le français - lui-même encore à l'époque divisé entre langue d'oïl et langue d'oc -, le flamand et le romanche,
- Le castillan, ou espagnol et le portugais - influencé par la langue arabe et la culture gothique des Goths et Wisigoths -,
- L'italien, dérivé direct du latin.

L'on peut aussi voir l'extinction du latin comme répondant de causes politiques.
En effet, le Moyen-Âge jusqu'à la Renaissance est l'époque où se consolident les frontières des royaumes et des empires de chaque pays occidental.
L'abandon de la langue latine devient dans cet angle d'analyse un moyen de s'émanciper d'un modèle culturel déchu (l'Empire Romain d'Occident), d'unifier son royaume et d'assurer son hégémonie sur les autres puissances.
Pour la France, par exemple, c'est le roi François Ier (1494-1547) qui, du 10 au 15 août 1539, fait rédiger l'Ordonnance de Villers-Cotterêts.
Ordonnances, comme en médecine ?
Non, c'est le texte qui imposa l'usage de la langue d'oïl (français ancien usité à l'époque dans le nord de la France et donc, le bassin parisien où siégeait la couronne) aux dépends du latin dans tous les actes juridiques, légaux et officiels écrits en France.
Cette signature marqua la préférence pour la langue maternelle, et porta un net recul du latin de manière durable dans l'Hexagone.
Seule l'Église catholique demeura fidèle au latin parlé : il fallut attendre au 20ème siècle, le concile œcuménique Vatican II, ouvert le 11 octobre 1962 par le Pape Jean XXIII et clos le 8 décembre 1965, pour que soit célébrée la première messe dans une autre langue que le latin (en italien).
Depuis, les prêtres ont le droit d'abandonner le latin et de dire la messe dans leur langue maternelle, ce qui avait alors inspiré le chanteur G. Brassens, connu pour son anticléricalisme, pour provoquer tout ce petit monde en écrivant une chanson pour le moins acerbe et ironique. (Tempête dans un bénitier).
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